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La relation à l’autre en ‘Dialogue Intérieur’

Les schémas d’ancrage 

      En vertu de la loi des polarités, de la nécessité d’adaptation qui nous amène à développer certaines subpersonnalités plutôt que d’autres, il y a une très grande part de nous-même qui se trouve reniée, refoulée, ou à tout le moins non-actualisée. Notre psyché abrite de nombreuses facettes inconscientes, et tout un potentiel en friche ! Ce qui est réprimé, non-exprimé, non-choisi, représente - sans y mettre aucun jugement de valeur - ce que l’on peut appeler "l’Ombre".

Cela ressemble à la face cachée de la lune, c'est la partie non-éclairée de notre être. C’est comme si nous étions un "gâteau d’énergie", de possibilités, dont la moitié seulement est disponible, est utilisée. Ou encore, un orchestre, partiellement mis en chômage, réduit à quelques musiciens, à quelques instruments, à quelques mélodies. Quel dommage !

     L’évolution, c'est justement ce qui nous invite à élargir notre répertoire, à tenter la découverte de cet "autre versant de nous-même", de ces "paysages du corps et de l’âme", qui nous sont restés inconnus, inaccessibles, jusque là.

 

     L’évolution, c’est toujours la relation ! À quelqu’un, à quelque chose ! Pourquoi ? Parce que, précisément, "l’autre" a développé un instrument, une partition d’orchestre, qui ne nous sont pas familiers. Une mélodie que nous ne savons pas encore chanter. Une énergie que nous n’exprimons pas, et dont l’action - souterraine en nous ! - pourrait devenir destructrice, pour nous-même ou pour autrui, si nous ne l'intégrons pas... serait-ce de façon homéopathique... si nous ne l'honorons pas, en lui donnant notre écoute et une place.

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Le peintre Benn (1905-1988)

     "Tomber amoureux" est en grande partie induit par cette "aimantation de ce qui nous manque", et donc nous attire ! L’autre sexe, un "parent affectueux", une "reconnaissance". Ce qui nous complète, ce que nous désirons, ce que nous admirons... De manière analogue, "entrer en conflit" sera provoqué par l'irruption de nos pôles dormants ou refoulés... Par l'émergence d'une répulsion, par le rejet de ce que nous ne voulons pas - ou plus ! - parce que nous refusons de l'accepter en nous-mêmes, et donc de l'assimiler. Conflit qui s'accentuera, parce que - simultanément - nous renforcerons nos subpersonnalités protectrices habituelles : celles qui ne supportent pas ce qui nous est contraire ! Nos "transferts" - négatifs ou positifs - sont l’expression de ces dynamiques.

 

      L’attraction, l’association, le choix d'un partenaire, se jouent en réalité entre deux "ensembles de subpersonnalités", qui se polarisent mutuellement. "Ils sont tout le contraire l’un de l’autre", dit-on : la danseuse et l’homme d’affaires, le timide et la battante. Le prince et la bergère...

Les partis politiques, les pays, les classes sociales et, dans notre vie quotidienne, les employés d’un même bureau, les amis, les enfants d’une même famille, se polarisent entre eux ! S’agissant des enfants, cela s'organise autour de l'adaptation au modèle - ou par démarcation du modèle - incarné par les parents. Ainsi un père ecclésiastique aura peut-être un enfant délinquant, le capitaine d’industrie une descendance "d’incapables", l’ouvrier pauvre et illettré, des enfants qui font carrière. Il semble que, tout naturellement, la vie nous porte, par le biais de nos rencontres - et des lois de l’énergie elle-même - à nous "compléter", et donc, le cas échéant, à être la victime - ou l'apprenti ! - de ce dont nous n'avons pas pris conscience, de ce que nous n'avons pas fait valoir, ou développé. L’attraction-répulsion se perçoit, se décode, comme "analogue, enviable", ou - à l’inverse - "différent et détestable" : «C’est si merveilleux; c’est si dégoûtant !»

 

       Quoique nous fassions - que nous nous conformions ou que nous nous révoltions - nous n’en sommes pas moins programmés ! Soit par le jeu des énergies que nous privilégions, soit par la nécessité d'en prendre le contre-pied ! C'est en cela que nous ne sommes, parfois, que très peu l'expression vraie de nous-mêmes, pour devenir plutôt des "émanations" de nos contextes, de notre environnement familial, social, culturel et religieux.

"Prendre conscience", c’est autre chose que de renverser un sablier ! comme le font trop souvent nos révolutions. Réaction n’est pas action. La réaction nous propulse dans l’autre pôle. La prise de conscience nous centre ! Permet un nouveau mode d'être et d'agir. Un nouveau mode de relation !

 

     Chaque rencontre, qu’elle soit conflictuelle ou enchanteresse, est donc un extraordinaire levain de complétude et de croissance. Mais à une condition : celle de ne pas considérer attraction et répulsion comme des "données magiques", l’amour, le mariage, l’état de parents, comme une "science infuse", mais d’en faire des terrains d’apprentissage conscient ! Une relation, cela se cultive, cela se construit. Cela se cultive avec amour. Cela se construit avec lucidité. Avec un engagement à l’honnêteté, à la communication. À l’être, plutôt qu’à l’avoir !

     Hal et Sidra Stone proposent un modèle à la fois simple et très concret de la façon dont nos "familles intérieures" se font face, et ont consacré un ouvrage entier à nos comportements relationnels. Ils y mettent en scène ce qu’ils ont appelé nos "schémas d’ancrage" (bonding patterns), décrivant avec précision les mouvements d’énergie entre deux personnes et leurs rapports de force : sous forme de compensations, de tentatives d'équilibrage, entre puissance et impuissance, pouvoir et vulnérabilité ! Ces interactions ont leur source dans notre passé, et s'illustreront en particulier dans nos rapports de couple : chacun des partenaire se sentant, se vivant, à tout moment, comme l'enfant ou le parent de l'autre, dans la relation. Et ces "schémas d’ancrage" seront alors ressentis comme paradisiaques ou insupportables... selon qu'on est amoureux, ou en voie de désenchantement... Ils peuvent être compris et travaillés, d’une manière claire et très accessible, par le ‘Dialogue Intérieur.’

     Ces "mouvements relationnels" se fondent largement sur ceux vécus dans notre enfance. Une petite fille devenue complaisante et docile face à un père autoritaire, sera peut-être, plus tard, une femme douce et tendre, mariée à un "Don Juan", ou à un tyran domestique. Lequel aura peut-être, de son côté, souffert, tout en les méprisant, d’un père absent, ou d’une mère trop légère... Ou, inversement, les aura admirés... Quel que soit le cas de figure et les stratégies qui ont prévalu à l’élaboration de notre personnalité, c’est bien d’une course à la vie et à la survie, donc au pouvoir, qu’il s’agit ! Pouvoir de se faire aimer, ou de contraindre l’autre à nous satisfaire... Nous nous protégeons ! Nous tentons de gagner ! Par l’agression ou la fuite. En faisant le mort, ou en nous rendant indispensables. Par la séduction, la gentillesse, notre capacité à prendre soin de l’autre... Ou par notre rigueur, notre dureté. Ou par notre irresponsabilité.

 

     Tomber amoureux, c’est, espérons-nous, trouver le corollaire parfait, la moitié idéale, la part manquante ! C’est un temps béni, qui ressemble fort au Jardin d’Éden avant la chute, lorsque nous n’avions pas encore connaissance du bien et du mal : l’autre est parfait ! Notre "Critique intérieur", notre "Juge", notre "Activiste", sont en vacances ! Et le degré de sécurité, de non-jugement, d’acceptation mutuelle, est maximal ! Et c’est alors que nos "enfants intérieurs" se sentiront parfaitement heureux et rassurés. Enfin reconnus et choyés comme ils le souhaitent ! C’est le temps des jeux et des rires, d’un émerveillement tendre et permanent.

     Les contes de fée ne parlent guère de ce qui se passe "après". Sans doute parce qu’alors on ne voudrait plus y aller... et que la vie a besoin que l’on procrée, que l’on serve ses lois ! "Ils se marièrent, furent heureux, eurent beaucoup d'enfants..." Vie quotidienne et vie commune ne se chauffent pas de ce bois-là, ne se concluent pas comme les contes, mais au contraire, nous demandent des comptes... Nous remettent invariablement face à notre apprentissage, à notre évolution. Il ne s’agit donc pas, de profiter seulement des atouts de l’autre, ni par la suite de juger ses traîtrises ou ses torts : lorsque ce qui nous séduisait en lui devient son plus grand défaut ! Il s’agit, bien plutôt, de développer en nous cette "altérité", ces "qualités de l’autre", lesquelles sont en quelque sorte enclavées dans l’ombre de notre propre psyché.

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      Dessin original. Adelheid Oesch

     Mais, pour ce faire, il nous faudra d’abord acquérir une maturité, une autonomie, qui nous permettent de prendre en charge notre "enfant intérieur", notre vulnérabilité, plutôt que de projeter sur autrui et le monde extérieur la responsabilité de nous répondre ! Ce que nous projetons finit toujours par nous revenir... Et, le cas échéant, par se retourner contre nous ! La dépendance est le statut naturel de l’enfant, mais ne devrait pas être - une fois adultes - la dynamique de nos relations ! Trop souvent, nous continuons, inconsciemment, à réclamer du monde qu'il comble nos besoins, nos carences affectives. Cela s'adresse d’abord à nos parents, mais se reporte sur nos partenaires, nos amis, nos propres enfants ! Ou sur la société. À court ou long terme, cela détruit la relation. D’une part, parce que nous ne reconnaissons alors pas l’autre comme "sujet", mais seulement comme "objet" : ne le voyant qu’à travers nos propres attentes et projections, et non pour lui-même ! D’autre part, parce que - s’il est lui aussi "en manque" - il ne pourra jamais vraiment satisfaire à nos exigences. Et ne recevra pas non plus ce qu'il attend ! Et c'est nous qui deviendrons son "objet" ! C'est la porte ouverte aux abus. C’est le tonneau des Danaïdes, le puits sans fond. Le rocher de Sisyphe. Ce n’est jamais assez! Ou alors, l'on se consacrera totalement au "bien de l'autre", refusant par là même toute satisfaction, même légitime, de nos propres besoins... Abondance du "donner", mais famine intérieure !

      Si l’on en revient au principe des polarités, il ne s’agit pas de "faire porter" à nos conjoints, à nos partenaires, à nos enfants, à nos proches, à nos associés, à nos clients, à nos patients, aux pays voisins ou lointains, ou encore aux générations futures, ce que nous ne voulons pas être... Pas plus que ce que nous voudrions qu’ils soient !

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Le ‘double lemniscate’ a été conçu par Hal et Sidra Stone, créateurs du ‘Dialogue Intérieur’ (Voice Dialogue), pour illustrer la dynamique des schémas d’ancrage (bonding patterns) dans les relations, de couple en particulier.

      Devenir adulte, c’est devenir son propre parent. Redevenir Source. Afin de pouvoir, à notre tour, être des parents pour nos enfants, plutôt que les enfants de nos enfants ! Des égaux, dans notre vie de couple, dans nos interactions professionnelles, sociales et politiques. S'approfondir, se prendre en charge, pratiquer l'écoute et l'amour de soi, c'est diminuer l’impact de nos besoins et de nos craintes, et donc de nos transferts inconscients, et des manipulations qui en découlent ! Car ceux-ci dirigent, façonnent, contrôlent, nos relations, et finissent presque toujours par les compromettre, ou par en altérer gravement la qualité. Voilà l’enjeu, le défi, que pose la relation à l'autre ! En prendre conscience, y répondre, c’est bâtir des relations qui sauront être honnêtes, heureuses, passionnantes, fructueuses et durables.

     L’ébranlement de notre "lune de miel" se produit tôt ou tard, mais souvent d’abord à notre insu, dès les premières épreuves que la vie nous impose : intégrer l'arrivée d’un enfant, difficulté financière ou professionnelle, problème de santé, ou encore événement qui touche notre entourage. Car, c’est alors que notre vulnérabilité, que l'enfant sensible en nous - si à l'aise auprès des amoureux ! - prend peur. Chaque difficulté, chaque épreuve, réactive la nécessité de se protéger. Et donc de refouler ce qui pourrait porter ombrage à notre sécurité ! Très vite, nous nous sentons blessés, menacés ! Très vite, chacun - pour se mettre à l'abri - recourt à son système de défense, à ses modes de survie. On se ferme, on se juge, on juge l'autre, on est expulsé de l’Éden !... pour tomber dans un monde de rapports de force et de conflit. On remet les "feuilles de vigne" (on utilise la sexualité pour se réconcilier, ou on la refuse). On est déjà en armure, on rabat la visière, on ne communique plus qu’avec ses armes. On met en veilleuse le corps et le coeur !

Voilà que notre relation à l’autre, notre "schéma d’ancrage", s’est retourné comme un gant ! Que de positif, il est devenu négatif !

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     Notre vulnérabilité est touchée. Nos "subpersonnalités reniées", sont mises sous pression : nous assistons à un "retour musclé de nos subpersonnalités primaires, puissantes et protectrices". Et il n'y a pas que cela ! Ce qui est renié en nous - et qui nous plaisait tant en l'autre ! - va maintenant nous narguer: car cela s'exprime justement en tant que "subpersonnalité puissante, devenue excessive ou agressive" (!) chez notre partenaire. Et tout cela va se manifester de plus en plus intensément, puisque chacun va se protéger de l'autre... C'est l'escalade... "Cette danseuse tendre, spontanée, fantaisiste, devient un monstre d’incompétence, de laisser aller, de laxisme. On ne peut pas compter sur elle ! Ce capitaine d’industrie, si fort, si fiable, si sécurisant, qui la déchargeait de tout, devient autoritaire, exigent, coercitif, violent. Un vrai tyran !" Chacun accuse, souffre, se sent trahi. Voilà bien de quoi tuer l’amour. De quoi couper le lien ! La danseuse n'a pas pris soin d'intégrer les éléments de structure qui lui font défaut, et maintenant - se sentant menacée par ce qui auparavant la rassurait ! - elle les rejette. L'homme d'affaires n'a pas fait sien, le brin de fantaisie, qui lui aurait donné de la flexibilité, du charisme... Ce qui aurait équilibré la balance ! Quant à la vulnérabilité, aux blessures, chacun les met sous le boisseau...

      Notre vulnérabilité cachée, nos besoins inconscients, sont la poudre dans le baril. Et ce qui met le feu aux poudres, ce sont nos difficultés de vie, et la remontée fulgurante de nos mécanismes de défense, qui leur font écho ! C’est la confrontation de ce que nous renions et qui maintenant nous provoque... Et, en réponse à cela, le retour en force de nos rigidités, de notre contrôle, de nos stratégies de pouvoir, de nos "Critiques" et de nos "Juges". C'est la perte de confiance. Le rejet de la responsabilité et de la faute sur l'autre ! Le repli de notre enfant intérieur et avec lui de notre spontanéité, de notre sensibilité, de notre créativité, de notre joie de vivre !

Si nos "Subpersonnalités puissantes" représentent le pouvoir législatif dans la psyché, "Critique" et "Juge" en sont la "protection policière et militaire". Les "femmes et les enfants" se retirent alors dans la "forteresse intérieure". Nos "Voix puissantes" soutiennent le siège, et un beau jour, notre douleur et notre frustration pourraient bien nous submerger, nos "Voix reniées" pourraient bien exploser... C’est la guerre, pas l’amour ! Ou c'est la dépression.

      Prendre conscience de ces joutes et de ces jeux relationnels, travailler cela en couple, apprendre à connaître les subpersonnalités qui s’affrontent et souffrent dans nos "schémas d’ancrage", est l’une des possibilités les plus fascinantes et les plus enrichissantes du "Dialogue Intérieur".

© 1999 Adelheid Oesch

​L'ATELIER DU DIALOGUE INTÉRIEUR © Adelheid Oesch 2020
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